Thèse d'Aude WYART
Entre déviance, normalité et distinction : Ethnographie des usages cachés de cocaïne
Cette thèse cherche à comprendre comment les usagers cachés de cocaïne - c'est-à-dire ceux qui parviennent à consommer cette drogue illicite tout en restant inconnus des structures sanitaires et répressives - font face aux tensions normatives qui entourent cette pratique. En effet, la cocaïne est tour à tour ou simultanément considérée comme une drogue dure et illicite, dont la consommation est de plus en plus banale et répandue, tout en étant associée à l'imaginaire du luxe et de la réussite sociale. Or, l’attractivité de la cocaïne, mais aussi les modalités pratiques des consommations et le regard que les usagers portent leurs pratiques dépendent largement de ces éléments de culture et de discours discordants, que les individus s’approprient et ré-agencent.
L’analyse s’appuie sur une ethnographie des usages de cocaïne cachés, menée entre 2011 et 2013, sur Lille et Paris, auprès de trois réseaux de sociabilité différents. L’étude de terrain est complétée par une analyse de discours qui porte sur les éléments de culture fréquemment mobilisés par les usagers.
Divers éléments culturels et discursifs très diffusés contribuent à associer la cocaïne à des esthétiques et des valeurs dans lesquelles les usagers se projettent. Cette substance est ainsi liée à une forme de distinction sociale, ainsi qu’à une certaine idée de la fête comme quête de sensations intenses. A l’inverse, d’autres productions culturelles très courantes véhiculent des discours réprobateurs et dissuasifs, discours qui sous-tendent les normes morales et légales. Or, les informants rencontrés dans le cadre de cette thèse entretiennent des rapports complexes aux normes qu’ils enfreignent, ainsi qu’aux arguments qui les fondent. Ainsi, les données recueillies ne concordent pas avec la thèse de la normalisation des usages récréatifs de cocaïne : cette pratique fait l'objet de tensions entre culpabilité et dédramatisation. Certains usagers résolvent ces tensions par l’emploi de techniques de neutralisation, tandis que d’autres rejettent les normes qui condamnent l’usage de drogues, et élaborent à la place des moralités alternatives.
- Thèse d'anthropologie sous la direction de Richard Rechtman, EHESS
- Date de soutenance : 2 juin 2016
Jury
- Laurent Bègue, professeur à l’Université Pierre Mendès-France (rapporteur)
- Nicolas Dodier, directeur d’études à l’EHESS (examinateur)
- Marie Jauffret-Roustide, chargée de recherche à l’INSERM (examinatrice)
- Michel Kokoreff, professeur à l’Université Paris 8 (rapporteur)
- Richard Rechtman, directeur d’études à l’EHESS (directeur)