Notre collègue Julie Pagis soutiendra son Habilitation à Diriger des Recherches

Mardi 28 mai 2024 à 14h00

La soutenance se déroulera à l’université Paris 1 Sorbonne

Centre Broca, 21 rue Broca 75005 Paris, salle A701

Le dossier d'habilitation a pour titre général "Les socialisations politiques et leurs incidences biographiques, des "années 68" à aujourd'hui" et se compose de trois volumes :

• Le volume de synthèse, intitulé "Les ressorts familiaux et intimes du politique au fil des âges : retour sur un parcours de recherche"
• Le volume inédit, intitulé "Le prophète rouge. Charisme et révolution dans les ‘années 68’" (présentation succincte ci-dessous)
• Le recueil de publications, intitulé "Des conséquences biographiques du militantisme en Mai 68 à la socialisation politique enfantine"

Le jury sera composé de : 

Vincent Azoulay, Muriel Darmon (co-garante), Brigitte Gaïti, Nicolas Mariot (co-garant), Manuel Schotté (rapporteur) et Michelle Zancarini-Fournel (rapportrice).

Merci de prévenir Julie Pagis (julie.pagis@cnrs.fr)de votre présence, car le nombre de place est limité par la taille de la salle et pour l’organisation logistique du pot. Un lien peut également être envoyé pour celles et ceux qui souhaiteraient suivre la soutenance en visio. 

Le prophète rouge. Charisme et révolution dans les ‘années 68’

En 1971, six couples décident de faire ensemble table rase de leur vie passée au nom de leurs idéaux politiques. Il y a parmi eux un ingénieur sortant de Centrale, un ouvrier fils de paysans pauvres, une étudiante en médecine en psychanalyse avec Lacan, un jeune thésard en sémiotique, une fille d’ouvriers espagnols républicains mariée à un révolutionnaire issu de la grande-bourgeoisie belge. Leur chef est un ouvrier espagnol de quinze ans leur aîné, fraîchement revenu d’un séjour de trois ans à Pékin, dénommé Fernando. Dans l’effervescence de l’après-68, et suivant les injonctions du président Mao, ils partent "enquêter" dans des foyers d’ouvriers immigrés, puis s’établir comme ouvriers en usine, mettant peu à peu toutes les sphères de leur vie au service de la Révolution.

Leur engagement devient total avec l’emménagement collectif du groupe, en 1976, dans un ancien couvent de Clichy. Dans cette communauté fondée sur l’utopie du "village modèle de Tatchaï", en Chine, ils expérimentent au quotidien la pensée de Mao. Au gré des incessantes critiques et autocritiques, et de multiples exclusions, la communauté bascule progressivement d’un engagement au service du peuple à une soumission totale au leader du groupe, devenu tout-puissant. Sous l’autorité charismatique de Fernando, un couple se déchire, une militante est "rectifiée", un homme perd la raison, un autre, accusé d’être un traître, se voit traduit devant un tribunal populaire. L’expérience prend fin au début des années 1980 lorsque le prophète rouge, qui ne vit plus là depuis des années mais continue d’exercer son autorité à distance, déclare leur rendre leur liberté, avant de se volatiliser une fois pour toutes.

Contactée par une ancienne membre du groupe en 2015, et bientôt intriguée par le personnage "charismatique" de Fernando, je me suis lancée dans une enquête au long cours pour éclairer les vastes zones d’ombre de sa biographie et tenter d’y comprendre la genèse de son charisme. Comment cet ouvrier espagnol n’ayant pas fait d’études a-t-il pu exercer cette autorité sans partage et infléchir durablement la vie des personnes qui l’ont suivi ? Et quels intérêts, individuels et collectifs, les membres du groupe avaient-ils et elles à se soumettre à son autorité ? Les travaux existants sur la question du charisme militant ou plus largement sur l’autorité charismatique, en se focalisant sur les grands leaders charismatiques, de Jésus à Hitler, en passant par Napoléon, César ou Staline, ont bien du mal à prendre en compte, dans l’analyse, les attentes et intérêts réciproques du prophète et de ses disciples.

Ce volume inédit ne s’en tient pas à une biographie individuelle du leader charismatique, proposant au contraire une biographie collective, "à parts égales" pourrait-on dire, qui met au jour tant les intérêts individuels et collectifs à se soumettre à la domination charismatique d’un chef, que ceux de ce dernier à l’exercer. La profusion d’écrits de diverses natures (autocritiques, carnets de réunions, bilans d’"enquête", textes préparatoires aux réunions, etc.), qui constituaient, à l’époque, autant d’instruments de contrôle des conduites individuelles, assurant à Fernando le monopole de l’information et de l’interprétation de la réalité, représentent aujourd’hui un outil sans égal d’objectivation des pratiques de la domination charismatique. Ces écrits permettent, enfin, d’exhumer une dimension de la domination charismatique totalement occultée par Weber : celle des violences de genre.